La galerie Gowen célèbre le paysage contemporain
Texte: Irène Languin
La tribune de Genève, 7 novembre 2025
https://www.tdg.ch/quand-la-creation-contemporaine-puise-dans-lage-baroque-444208416914
Réunissant plus de vingt artistes, l’accrochage propose une réflexion sur les développements actuels d’un genre propice à l’expérimentation picturale.
La tradition classique le considère comme moins noble que la peinture d’histoire ou le portrait. Pourtant, l’art du paysage fut le lieu de multiples révolutions picturales, que l’on pense à l’essor du sublime et du reflet des tourments de l’âme dans la période romantique, à l’audacieuse redéfinition de la lumière chez les impressionnistes ou encore aux fauves et à leur usage subversif de la couleur. Mais de quelle manière les artistes contemporains se sont-ils emparés de ce genre consacré?
C’est pour tenter de répondre à cette pertinente question que la galerie Gowen a réuni une vingtaine de peintres suisses et internationaux au sein de «Making the landscape». Au gré d’œuvres très diverses, l’exposition collective examine comment les pinceaux d’aujourd’hui se confrontent au paysage, mettant en lumière leurs préoccupations formelles et esthétiques. «Il s’agit d’un terrain d’expérimentation très intense, résume Laura Gowen. On trouve tant des allusions aux maîtres classiques que des renvois aux nouvelles technologies.»
Contrées imaginaires
Parfois, il s’agit de panoramas traditionnels, avec arbres, plans d’eau et vastes ciels. Ailleurs, les toiles promènent le spectateur à travers d’épaisses jungles exotiques, le plongent dans des mondes dystopiques ou des contrées imaginaires au cœur desquelles s’épanouissent les plus extravagants des végétaux. Ici, le ressac de l’eau confine à l’abstraction; là, l’observation de la nature devient prétexte à portraits.
Ainsi de ce grand tableau de l’Américain Alex Katz (*1927), qui attire immédiatement l’œil du visiteur dans la première salle. Portant un bonnet de fourrure blanche, une jeune femme blonde aux yeux clairs occupe presque l’entier de la surface de la toile, devant un paysage côtier à l’arrière-plan – l’artiste possède une maison dans le Maine, État septentrional connu pour son littoral rocheux et ses immenses forêts. Loin de jouer les seconds rôles, l’environnement naturel envahit toute la scène: la brise a chassé du ciel les nuages et joue dans la chevelure de «Jessica», dont le couvre-chef et la pelisse rendent tangible une ambiance frisquette d’entre-saison.
Sur le mur d’en face, de délicats nénuphars ont été déployés à l’acrylique par Tami Ichino (*1978). Travaillant uniquement avec les trois couleurs primaires, le noir et le blanc, la plasticienne japonaise établie à Genève extrait des détails de ses expériences paysagères pour les traiter comme des portraits; à traits aussi minutieux que poétiques, esthétiquement empreints de ses origines nippones, elle révèle ici le caractère métaphorique et universel d’une plante.
La thématique botanique préoccupe également la Genevoise Carine Bovey (*1985) et le Vaudois Sébastien Mettraux (*1984). Alors que la première compose des jardins fantasmagoriques en usant de matériaux empruntés à la cosmétique et renvoyant à la peau – mascara, gloss, ombres à paupières – le second s’appuie sur la technologie 3D pour explorer la représentation du réel. Des fleurs capturées par son imprimante en Thaïlande se retrouvent ainsi peintes de manière si précise et réaliste qu’on les dirait sorties d’un monde virtuel.
La question de la normalité et du familier se pose également chez Sylvie Lambert (*1984). Celle qui est née au Canada mais travaille à Genève part d’association d’idées pour réaliser des panoramas à l’étrangeté assez drôle, tels ces arbres dotés de feuillages pareils à des tignasses rousses et crépues dont le tronc comporte des écailles évoquant celles des cheveux.
Pratique de l’immersion
D’autres, à l’instar de la Française Amélie Ducommun (*1983), s’écartent de la figuration pour rendre des impressions nées de paysages du bord de l’eau. Une pratique de l’immersion que partage son compatriote Bruno Gadenne (*1990), lequel s’isole des mois dans la jungle avant de réélaborer dans son atelier, sur la base de croquis et de photos, des ambiances quasi chamaniques, traversées de lumière.
Si elle est accrochée à un coin de cimaise plutôt modeste, une œuvre réunit historiquement toutes les autres. Intitulé «Paris. La Seine au Trocadéro» et exécuté en 1903, un petit tableau de Paul Signac (1863 – 1935), chef de file, avec Georges Seurat, du néo-impressionnisme, sert de point d’ancrage au propos de «Making the landscape». Il est présenté de telle façon qu’on apprécie en enfilade une création pointilliste grand format de Claude Cortinovis (*1965), qui lui fait joliment écho.
L’artiste genevois rend hommage aux «Nymphéas» de Claude Monet sur papier quadrillé à la main, où il appose des milliers de minuscules carrés d’encres colorées à l’aide de tampons et de crayons. De ce travail performatif extrêmement long – dans ce cas, cinq mois et demi – résulte une fresque de pixels, qui prennent forme à mesure qu’on s’en éloigne. Ou comment composer artisanalement un paysage digital.
